D.5 Comprendre et analyser les pics (cas du béton)
D.5 Comprendre et analyser les pics (cas du béton)
Le lissage dont il est question dans le présent chapitre concerne l'écrêtage d'efforts ou de contraintes ou encore la répartition du ferraillage, en le moyennant, sur une certaine longueur (ou largeur) de l'élément calculé.
D.5.1 Concentration et pic de contraintes (efforts) – différents types de visualisation des efforts
D.5.1.1 Les pics de contraintes et d'efforts
Contrairement aux idées courantes, les pics de contraintes et d’efforts ne sont pas apparus avec les logiciels aux éléments finis, mais ont toujours fait partie des contraintes des ingénieurs structures, ils sont inhérents à la prise en compte d'efforts ponctuels dans le calcul des dalles.
Considérons par exemple l’étude d’une dalle isostatique infinie soumise à une charge concentrée en son centre.
Une approche possible pour calculer les efforts au centre d’une dalle est l’utilisation des abaques de Pücher.
L’abaque ci-dessus (surfaces d’influence) fait apparaître un pic de moments au centre: la ligne d’influence croît rapidement lorsque la charge se rapproche du milieu de la travée : les valeurs 3 / 4 / 5 puis 6 et 7 se resserrent pour aboutir à une valeur infinie, mais correspondant à une surface tendant vers 0. Pücher a arbitrairement tronqué la représentation à la valeur de 8.
Considérons une dalle de 3 m de portée articulée sur ses côtés , soumise à une charge concentrée de 10 KN en son centre.
D'après l'abaque le moment théorique au droit de la charge est infini, ce qui n'est pas satisfaisant pour l'ingénieur devant dimensionner le ferraillage. En réalité les charges ponctuelles n’existent pas, d’autant plus que la pratique courante consiste à diffuser les charges au feuillet d’une dalle. On est alors amené à calculer des intégrales pour obtenir la valeur du moment dans la dalle (pour plus de détails, on se référera aux publications originales de Pücher).
En répartissant la charge sur un carré 20×20 cm², l'intégration des surfaces montre que le moment maximal est égal à 3.0 KN.m.
Un autre exemple de l'utilisation des abaques de Pücher est donné dans l'exemple de modélisation d'une roue Br.
Il ne faut pas oublier que les calculs sont généralement menés avec des sections brutes (coffrage) et des matériaux élastiques (comportement linéaire). En réalité, la fissuration du béton armé va conduire à une redistribution des efforts qui tend à faire diminuer ces effets de pics. Ce genre de calculs n’entrent pas (à ce jour) dans la pratique courante.
Il est par conséquent nécessaire de savoir corriger simplement, souvent manuellement, les résultats d’un calcul linéaire.
Des exemples de correction des résultats d’un calcul linéaire sont donnés ci-après.
D.5.1.2 Étude des pics par les éléments finis
Que se passe-t-il lorsque l'on calcule cette même dalle par les éléments finis ?
Dalle de 3 m de portée articulée soumise à une charge concentrée de 10 KN en son centre (efforts aux nœuds)
Idem en 3D
Nous constatons l’apparition d'un pic dont la valeur maximale n'est pas infinie, mais égale à 2.96 KN.m.
Nous avons vu que le logiciel calcule les efforts aux points d'intégration des éléments, pour extrapoler ensuite les résultats au centre puis sur les nœuds des éléments. un nœud étant généralement commun à 4 éléments, il y a donc 4 résultats par nœud (un pour chaque élément). Quel sera le résultat retenu ? La valeur maximale ? La valeur moyenne ? Les logiciels aux éléments finis ne proposent pas, en effet, un seul résultat pour chaque calcul, mais plusieurs selon les options choisies par l'ingénieur: ils sont capables de dresser des cartographies de résultats à partir des efforts sur les nœuds, ou bien à partir des efforts au centre des éléments, ils peuvent être lissés, non lissés, etc.
L'ingénieur doit choisir les options de visualisations avec rigueur, car les résultats varient grandement selon l'option choisie. C'est ce que nous proposons de montrer avec l'exemple ci après.
La figure précédente visualise les moments calculés sur les nœuds des éléments dont la valeur maximale est de 2.96 KN.m, elle est très proche de la valeur de 3.0 KN.m calculée manuellement.
Nous reprenons le même exemple en affichant les moments calculés au centre des éléments (au lieu des nœuds) ; le pic central est plus petit : 1.92 KN.m pour 2.96 KN.m précédemment. Ce résultat est également éloigné de la valeur calculée manuellement de 3.0 KN.m.
Dalle de 3 m de portée articulée soumise à une charge concentrée de 10 KN répartie sur 20×20 cm² en son centre (efforts au centre des éléments)
La représentation ci après de la courbe des moments sur une coupe au milieu de la dalle permet de comprendre ces différences.
a) Efforts aux nœuds
Ci-dessous la courbe des moments Myy calculés par lissage sur les nœuds
Les efforts sont calculés dans les points d’intégration des éléments puis extrapolés sur les nœuds.
Le moment maximal est de 2.96 KN.m au centre de la dalle conforme au calcul manuel.
b) Efforts non lissés sur les éléments
Les efforts sont calculés dans les points d’intégration puis moyennés pour obtenir l’effort au centre de l’élément.
La valeur maximale est de 1.92 kN.m , moyenne des éléments centraux.
On ne retrouve pas ici la valeur calculée manuellement de 3.0 kN.m, mais une valeur « lissée » sur les éléments entourant le pic. Nous retiendrons de cet exemple que les efforts aux nœuds donnent des résultats conformes à ceux calculés manuellement, ce qui n'est pas le cas des efforts calculés au centre des éléments.
c) Efforts lissés sur les éléments
Les efforts sont calculés au centre des éléments puis lissés entre eux.
Cette courbe fait croire à une courbe extrapolée sur les nœuds, alors que les extrapolations sont effectuées seulement sur les résultats aux centres des éléments, la courbe qui en résulte est sans signification physique donc « fausse ».
En revanche, dans un autre cas de figure, cette option de lissage des efforts au centre pourrait s’avérer utile si l'on désirait connaître les efforts aux nus de voiles.
Pour être valable, la largeur de la maille devrait être égale à l’épaisseur du voile.
Les visualisations des résultats des éléments finis au droit des pics donnent des résultats très différents selon les options choisies par l'ingénieur. Ces résultats ne peuvent pas être pris tels quels, mais doivent être analysés et interprétés par l'ingénieur.
La figure ci-dessous montre les valeurs obtenues avec une force ponctuelle de 10 kN au centre de la dalle.
La valeur de moment passe à 5.2 kN.m et l'allure de la courbe de moment présente nettement un pic.
Plus loin dans le présent chapitre, on verra que les forces ponctuelles (qui n'ont pas de sens physique) conduisent à des pics d'efforts et qu'il vaut mieux éviter leur emploi pour obtenir des résultats locaux précis.
D.5.2 Méthode d’analyses des pics
Les cartographies d’aciers présentent souvent des pics d’aciers dont les conséquences sont très importantes dans le dimensionnement du ferraillage.
L’utilisateur est souvent dépourvu devant ces pics : faut il les prendre en compte en considérant qu’ils sont structurels ou les ignorer en les assimilant à des problèmes de calculs numériques ?
Exemple : les pics visualisés ci-dessus à l’encastrement de cette poutre en console sont bien entendu structurels.
La réponse à cette problématique réside dans la compréhension du fonctionnement de la structure et du cheminement des efforts au niveau du pic, analyse indispensable pour solutionner les pics (écrêter, linéariser les ferraillages).
Cette démarche peut s’avérer difficile dans le cas de modélisations complexes, mais est toujours indispensable.
Trois types d’analyses sont envisageables :
Analyses | Objectif |
1 : Analyse géométrique | Repérer les singularités de la modélisation au droit du pic pour en déterminer l’origine géométrique |
2 : Analyse des sections d’acier Axi, Axs, Ayi, Ays | Réaliser une première distinction entre les efforts de membrane, de cisaillement et de flexion |
3 : Analyse des efforts générant le pic | Détecter la ou les composantes « fautives » et quantifier les efforts |
D.5.2.1 Première analyse : géométrique
L’expérience montre que 90% des pics se situent au niveau de singularités géométriques (poteaux, appuis, intersections voiles/voiles ou voiles/dalles, etc.). Ceci est dû au fait que la modélisation, réalisée à partir des plans moyens ou fibres moyennes ne représente pas les éléments avec leur géométrie volumique réelle (par exemple, une dalle est représentée par un élément plan et les poteaux sur lesquels elle s'appuie, par des élément filaires). De manière imagée, ceci conduit, comme explicité en D.5.1, à prendre en compte des forces appliquées sur des surfaces nulles, donc fatalement à des problèmes numériques. Il est donc indispensable de repérer ces singularités sur le modèle.
a) Exemples de pics liés à la géométrie
Nous partageons ci-après un exemple d’une dalle sur un réseau de poteaux/poutres pour lequel des pics de moments apparaissent au niveau des appuis formés par les poteaux.
Ces pics doivent être interprétés en détail, il est possible de réduire les valeurs des moments dimensionnants en écrêtant au droit des poutres.
Exemple d’une dalle sur réseau de poteaux et de poutres
Visualisation des moments fléchissants dans la dalle
Il apparait des pics qu’il est possible d’écrêter au droit des poutres :
Dans le cas ci-dessus, on écrête conventionnellement au nu des arêtes des poutres ou du poteau en cas de plancher champignon.
Certains logiciels permettent de définir des appuis avec des dimensions en plan pour obtenir directement les efforts aux nus. Exemple d'une dalle de 10×10 m², d'épaisseur 30 cm soumise à son poids propre, appuyé linéairement sur une rive et sur deux appuis ponctuels au droit de deux poteaux à 1 m de chaque coin. L'appui de gauche est un appui ponctuel classique, l'appui de droite est un appui de type poteau, de 50×50 cm².
La représentation des efforts avec et sans réduction des efforts, montre un écart notable sur les valeurs.
Nota: il convient toujours de bien vérifier la méthodologie employée par les logiciels et de s'assurer qu'elle est compatible avec les justifications réglementaires à effectuer.
b) Pics causés par des forces ponctuelles
Le traitement des pics au droit des charges concentrées se rapproche de celui des pics causés par les liaisons ponctuelles. (Une force ou un torseur peut représenter les effets d'un appui ponctuel; il y a une stricte équivalence).
Exemple :
On prend l'exemple trivial d'une charge arrivant via un poteau sur un voile (voile d'épaisseur 30 cm, poteau de 55×30 cm²).
Suivant ce que l'on va chercher à calculer, l'approche ne sera pas la même. Si l'on recherche une descente de charge globale, les approches de gauche, soit via une charge ponctuelle, soit via une barre filaire conviennent parfaitement. Cependant, si l'on s'intéresse aux effets locaux, il faut absolument repasser par une charge répartie pour minimiser le pic de contraintes, ce qui ne facilite pas les calculs automatisés (et ne préjuge pas d'autres calculs manuels à effectuer: diffusion, poinçonnement …).
-
Pic lié à la façon de modéliser une charge sur une dalle: cas d'une charge de roue sur un hourdis de pont
Une charge concentrée perpendiculaire à une dalle génère un pic de moment (voir D.5.1). Ce pic est à traiter pour calculer le ferraillage. Il peut être réduit en remplaçant la charge concentrée par un pavé de chargement prenant en compte la diffusion de la charge dans la dalle (diffusion d’une roue sur un hourdis de pont).
Exemple :
On compare le moment longitudinal pour une même charge de 100 kN suivant quatre approches :
-
une force ponctuelle au centre d’une maille ;
-
une force ponctuelle sur un nœud ;
-
une pression correspondant à une force de 100 kN sur une surface de 0.25×0.25 m² (la maille) ;
-
la force de 100 kN/4 = 25 kN répartie aux 4 nœuds encadrant une maille de 0.25×0.25 m².
Force de 100 kN au centre d’une maille → Mx=26.62 kN.m/m
Force de 100 kN sur un nœud → Mx=48.12 kN.m/m
.
Pression répartie sur une maille → Mx=26.62 kN.m/m
.
1/4 de force sur 4 nœuds → Mx=26.62 kN.m/m
.
En conclusion, on se rend compte que la modélisation d’une charge répartie par une force ponctuelle peut s’avérer très pénalisante, surtout si cette charge est appliquée sur un nœud du maillage : il vaut mieux passer par des pressions (sachant que le logiciel répartit les charges aux nœuds), ou à défaut scinder la force en plusieurs charges pour éviter le pic d’effort potentiel.
Conseil : éviter la modélisation de forces réparties par une résultante ponctuelle pour le calcul des efforts dans les dalles ou hourdis !
Il convient de s'assurer que la taille des mailles est dans une proportion correcte à la fois avec l'épaisseur de la plaque et la surface d'impact de la charge la plus petite.
En complément, pour illustrer les différents résultats que l'on peut obtenir pour un cas extrêmement simple, le Groupe de Travail a calculé les efforts générés par une roue Br du fascicule 62 titre II, à l'aide de plusieurs logiciels et avec plusieurs approches de lissage. L'étude est disponible dans la partie 3 ou directement ci-après : exemple de modélisation d'une roue Br.
Nota: Dans le cas de structures comportant majoritairement des charges d'exploitation réparties, la taille des mailles aura beaucoup moins d'impact que dans celui d'un hourdis supportant des charges roulantes. Il convient également d'adapter la taille des mailles à la finalité du calcul. Une descente de charges ne nécessite pas le même maillage que le calcul de dimensionnement d'EXE de l'élément de dalle.
Poinçonnement
Il a déjà été évoqué, plusieurs fois, le fait que les éléments finis ne traitaient pas certains sujets comme le décalage des courbes de moments, les écrêtages d'efforts tranchants proches des appuis ou encore les vérifications au poinçonnement.
Sauf cas particuliers, donc, les vérifications liées au poinçonnement restent à faire manuellement. Nous allons l'illustrer sur l'exemple de la charge sur le hourdis de pont montré ci-avant.
Le modélisateur pourrait être tenté de raisonner sur les contraintes de cisaillement moyennées sur la surface poinçonnée issues du calcul EF. Nous nous référons à la formule du BAEL qui a l'avantage de la simplicité. La contrainte de comparaison est simplement la charge divisée par le périmètre de l'impact diffusé au feuillet moyen et par l'épaisseur de la dalle.
Soit τ=100 kN/(4*0.25 m)/0.25 m=400 kPa (la dalle a une épaisseur de 25 cm).
Le calcul EF, lui, aboutit à des contraintes lissées (ici dans la zone la plus défavorable, pas strictement sur le périmètre de diffusion de la charge !) de l'ordre de :
-
τ=5.33 kN (intégrale sur 0.125 m, lue ci-dessous)/0.125 m/0.25 m= 171 KPa ;
-
τ=5.42 kN (intégrale sur 0.125 m, lue ci-dessous)/0.125 m/0.25 m= 173 KPa.
Nous sommes loin des 400 KPa que donne l'approche réglementaire au BAEL - la prise en compte des valeurs EF ne seraient pas sécuritaire. Mais il s'agit de deux approches différentes: les cisaillements dans la dalle servent à calculer les armatures de tranchant et le poinçonnement est un autre type de vérification.
Effort Qxx (KN/m)
Effort Qyy (KN/m)
Pour le calcul des structures en béton armé, on retiendra que les pics ont pour origine des efforts ou des appuis ponctuels.
c) Pics causés par des problèmes de maillage
Le repérage géométrique du pic permet souvent de détecter les causes.
Exemple d'une incohérence de résultats liée à la modélisation : une construction graphique peut donner l'illusion qu'une arête est commune à deux coques, alors qu'en réalité il y a un décalage extrêmement faible qui conduit à des résultats aberrants. Pour illustrer ce cas, nous prolongeons la dalle d'un exemple ci-avant par un autre élément rectangulaire que nous croyons être strictement dans le même plan que le précédent. Les résultats doivent nous alerter du fait de certains pics qui apparaissent:
En zoomant, on constate, côté droit, que le raccord ne se fait que sur quelques points (correspondant sans doute à une tolérance géométrique du logiciel) alors que côté gauche on a un décalage, très faible (et provoqué dans le cas présent !) mais qui empêche le raccordement.
On voit sur la figure ci-dessous que les nœuds sur l'arête commune ne sont pas tous raccordés : ceci doit attirer l'attention.
L'observation de la déformée doit également nous alerter :
En cas de difficultés, l’utilisateur pourra préalablement créer lui-même les nœuds de l'arête jointive, le cas échéant avec des éléments de barre qui seront supprimés une fois le maillage fiabilisé et figé. Même si cette approche peut sembler fastidieuse de prime abord, le gain de temps peut largement en valoir la peine.
Il faut rester prudent quant à l’utilisation de corrections automatiques proposées par certains logiciels (en l’occurrence le liaisonnement de nœuds grâce à des liaisons cinématiques) qui peuvent conduire à des pics locaux de contraintes. Dans ce cas, il vaut mieux effacer certaines coques et recommencer proprement certaines parties du modèle. Voir également le § C.3.7.
D.5.2.2 Deuxième analyse : étude des sections d’aciers au droit du pic
Pour nous aider à repérer l’origine du pic, on peut analyser la cartographie des aciers sur chaque face, dans les deux directions de ferraillage. En effet, l’analyse des sections d’aciers Axi, Axs, Ayi et Ays au droit du pic fournit rapidement des informations importantes :
-
des efforts de membranes élevés NXX et NYY se détectent par des sections d’aciers importantes et égales sur les 2 faces. Si de plus les 4 sections d’aciers sont égales alors l’élément travaille en cisaillement dans le plan NXY ;
-
des moments fléchissants élevés MXX et MYY se détectent par des sections d’aciers importantes sur une fibre et très faibles sur l’autre.
Pour illustrer ces propos, le tableau ci-dessous résume les conséquences sur les armatures de chaque composant d’efforts :
Le code X indique une valeur importante de la section d’acier, le code 0 une valeur faible.
A partir de là on procède à l’analyse décrite ci-après.
D.5.2.3 Troisième analyse : étude des efforts au droit du pic
Si les deux analyses précédentes ne sont pas suffisantes pour expliquer le pic, il est nécessaire alors d’étudier en détail les composantes des efforts pour en déterminer leurs intensités et repérer les cas de charges dimensionnants.
Cette analyse qui est souvent longue et délicate dans le cas d’une modélisation complexe, peut être grandement simplifiée pour les modélisations simples en procédant à des cartographies d’efforts ou des coupures locales.
D.5.3 Résolution du pic : détermination du ferraillage final
Après avoir compris le fonctionnement de la structure et maîtrisé les cheminements des efforts, l’ingénieur a tous les éléments pour solutionner le pic et en déduire le ferraillage strictement nécessaire.
D.5.3.1 Cas où les écrêtages ou lissages ne sont pas possibles
Dans certains cas, l'étude du cheminement des efforts montre que les pics sont réels et ne peuvent être écrêtés, c'est le cas des linteaux qui font apparaître des pics très importants à leurs extrémités, ce qui est logique car ce sont des poutres bi-encastrés qui doivent être calculées selon les règles de la RDM et du béton armé (poutre bi- encastrée soumise à un cisaillement constant).
D.5.3.2 Ecrêtage des moments sur appuis
L’article 9.5.3.2.2 de l’EC2-1 permet d’écrêter les moments au nu des appuis (voiles)
a) Poutre appuyée sur un poteau - exemple 1
Considérons l’exemple d’une dalle comportant 2 travées de 6 m et chargées uniformément par 25 kN/m².
Les moments théoriques sont de -11.2 kN.m sur appuis et de 6.3 kN.m en travée
Le logiciel EF fait apparaitre un pic de -12.1 kN.m sur appui qui est réel.
Ecrêtage au nu du voile :
Pour obtenir le moment au nu du voile (ép. = 20 cm), l’utilisateur a plusieurs solutions :
-
soit réaliser des coupures au niveau de l’appui ;
-
soit ne pas visualiser la zone d’appui (mais cela nécessite une adaptation du maillage) ;
Moment au nu des appuis = -10.6 kN.m
-
soit adapter le maillage afin que la largeur de la maille sur appuis soit égale à l’épaisseur du voile, comme représenté ci-dessous.
Le moment au centre de la maille représentera alors le moment au nu de l’appui.
Le même type de réflexion et d'approche est à mener pour écrêter l' effort tranchant, le cas échéant.
b) Poutre appuyée sur un poteau - exemple 2
L’exemple ci-dessous montre deux manières de modéliser une structure poteau-poutre simple pour mettre en évidence les effets des dimensions réelles des structures.
Le principe est le suivant, pour une largeur hors plan de 1 m :
Dans un premier temps, un modèle filaire permet de calculer les moments, au niveau de l’appui central (vue tronquée) :
Le moment sur l’appui central vaut 82.09 kN.m, ce qui donne une contrainte extrême en fibre supérieure et en fibre inférieure de 6M/(bh²)=(6*82.09)/(1.0*0.5²) = 1970 kPa = 1.97 MPa. La contrainte au nu vaut, quant à elle (6*70.00)/(1.0*0.5²) = 1680 kPa = 1.68 MPa.
Ci-dessous le résultat (en contraintes) du même calcul effectué sur un modèle avec des plaques, bloquées en déplacement hors plan. Ce modèle permet de représenter le comportement en coupe, avec les épaisseurs réelles des éléments. (vue tronquée)
La contrainte obtenue en fibre supérieure est de 1.58 MPa. (Celle en fibre inférieure n'est pas représentative du fait qu'elle est calculée dans une zone singulière que constitue l'angle droit).
Ce modèle met en évidence la légitimité des écrêtages effectués dans la pratique.
D.5.4 Lissage des ferraillages
La méthode ci-après issue d’une pratique courante dans le domaine du Génie Civil Nucléaire permet de donner des règles simples pour lisser les ferraillages.
Son application reste néanmoins soumise au jugement de l’ingénieur. En particulier, dans le cas de planchers de bâtiments courants ou de hourdis de ponts, ces valeurs sont sans doute trop favorables et il semble loisible de réduire la taille du lissage à la moitié des valeurs ci-dessous, par conséquent plafonner cette taille à 2h (h étant l'épaisseur de la dalle).
Dans ce cadre, le lissage des sections d’armatures longitudinales et des armatures d’effort tranchant doit se faire :
-
entre éléments adjacents (et non successifs par rapport à la direction du ferraillage) ; le lissage se fait perpendiculairement à la direction du ferraillage ;
-
sur une distance raisonnable (jugement de l’ingénieur) et inférieure à une valeur fonction de l’épaisseur de la plaque et de la portée de la plaque.
La pratique courante actuelle est de faire la moyenne sur les résultats de trois éléments : l’élément pour lequel le maximum est observé et les deux éléments adjacents, en limitant la largeur sur laquelle s’effectue la redistribution à 4 fois l’épaisseur de la dalle (voir le tableau ci-après).
Ex : si la taille des éléments est de 1 m, faire la moyenne sur trois éléments revient à faire la moyenne sur une largeur de 3 m. Pour une dalle de 0.5 m, cette largeur est limitée à 4 fois l’épaisseur de la dalle, soit 2 m, ce qui conduit à faire la moyenne sur seulement deux éléments.
Il faudrait aussi limiter la largeur de répartition en fonction de la portée de la dalle ou de la hauteur du voile, en effet plus la portée (ou la hauteur) est faible, plus la largeur de répartition doit être réduite.
Règles proposées pour le lissage des pics de ferraillage longitudinal des dalles (issus des efforts N, M)
Elles sont présentées dans le tableau qui suit. Elles sont valables pour une dalle soumise essentiellement à des efforts de membrane et à des moments de flexion dus à des charges réparties hors du plan, et avec un maillage suffisamment fin qui présente :
-
un nombre impair d’éléments selon les deux directions de portée ;
-
au minimum de 5 éléments selon la petite portée (7 éléments si possible) ;
-
une taille de maillage égale à l’épaisseur des éléments porteurs.
Largeur sur laquelle il est possible de lisser les sections d’armatures longitudinales et transversales | Limitation de la largeur de distribution en fonction de l’épaisseur h de la plaque | Limitation de la largeur de distribution en fonction de la portée L de la plaque |
Zone où la redistribution des efforts peut se faire dans les deux directions | 4h | 0.5 L |
Zone où la redistribution des efforts ne peut se faire que dans une seule direction (en bordure de trémie) | 2h | 0.25 L |
Pour des charges concentrées hors plan, il faut aussi tenir compte de la distance de la charge à l’appui et de sa diffusion.
Les pics de ferraillage se trouvent fréquemment en bordure de trémie, dans ce cas, la redistribution des efforts ne peut se faire que dans une direction et donc sur des largeurs limitées :
-
si un ferraillage complémentaire au ferraillage courant est nécessaire, on a toujours intérêt à le placer au plus près des bords de la trémie.
-
si après lissage du ferraillage comme spécifié ci-dessus, le ferraillage courant suffit, il est cependant recommandé de placer un ferraillage complémentaire en bordure de la trémie si plus d’une armature courante est coupée par la trémie dans une des deux directions.
Pour les petites ouvertures (en particulier les fourreaux) s’insérant dans la maille du ferraillage ou provoquant l’interruption d’une seule armature, il est possible de ne pas ajouter un ferraillage complémentaire.
Règle proposée pour le lissage des pics de ferraillage longitudinal dans les éléments membranaires (voiles)
Pour des éléments soumis à des efforts membranaires de traction, la redistribution ne peut s’effectuer que dans une direction.
Largeur sur laquelle il est possible de lisser les sections d’armatures longitudinales et transversales | Limitation de la largeur de distribution en fonction de l’épaisseur h de la plaque | Limitation de la largeur de distribution en fonction de la portée L de la plaque |
La redistribution des efforts ne peut se faire que dans une seule direction (en bordure de trémie) | 2h | 0.25 L |
Dans les voiles de contreventement soumis à un moment de flexion d'axe perpendiculaire au plan du voile, la contrainte membranaire de traction varie linéairement.
Lorsque l’on lisse les pics d’armatures, il faut étendre le ferraillage lissé sur une longueur suffisamment grande pour conserver la capacité de flexion : F1 x d1 > F0 x d0, où :
-
F1 = effort résultant repris par les armatures après lissage sur la longueur L ;
-
d1 = distance entre la résultante F1 et le point de moment nul ;
-
paramètres ci-dessus avec indice 0 = avant lissage.
Pour des éléments soumis à un cisaillement de membrane, il est possible de reporter une partie de la section requise AX vers la section AY, si cette dernière est surabondante et réciproquement. En effet les logiciels courants utilisent la méthode de Capra Maury qui optimise la somme des sections d’armatures AX + AY.
La section AY peut être parfois déterminée par la condition de ferraillage minimale et la section AY prévue est alors supérieure à la section AY requise à partir du calcul de résistance, permettant ainsi une redistribution des sections d’armatures. Il faut ensuite vérifier la résistance de la section avec les nouvelles sections d’armatures.
Conclusion concernant le lissage des pics de ferraillage longitudinal
Dans tous les cas, il faut tenir compte de l’origine des besoins d’acier en analysant les efforts (Nxx, Nyy, Nxy, Mxx, Myy, Mxy) et interpréter les résultats, au cas par cas, avec une approche «béton armé».
En général, le ferraillage des voiles provient majoritairement des efforts de membranes (Nxx,Nyy,Nxy), les efforts de flexion (Mxx,Myy,Mxy) étant alors négligeables. Par contre le ferraillage des planchers est dû principalement aux efforts de flexion (Mxx,Myy,Mxy), et dans certains cas par des efforts de membrane (Nxx,Nyy,Nxy) lorsque le bâtiment est soumis à des efforts horizontaux (vent, séisme) ou à des irrégularités (poutres voiles).
Une poutre voile est un bon exemple d'irrégularité produisant des efforts horizontaux dans les planchers: l'exemple ci-après reprend la poutre voile reposant sur 2 poteaux étudiée au chapitre D.4.5, mais en modélisant un plancher inférieur; les contraintes de traction visualisées en rouge montrent que le tirant inférieur se forme non seulement à la base du voile mais aussi dans le plancher inférieur :
Les tractions sont encore plus importantes (ici +50%) dans le cas d'ouvertures à la base du voile :
Règle proposée pour le lissage des pics d'armatures d’effort tranchant (perpendiculaire aux éléments)
Généralement, les pics d’effort tranchant perpendiculaire aux éléments se produisent à l’intersection de plusieurs plaques
Les pics d’armatures d’effort tranchant apparaissent souvent lorsque l’effort tranchant est concomitant avec une traction importante.
Pour rappel, pour la justification du béton armé, la concomitance d’un effort tranchant avec une traction nécessite une attention particulière car cela signifie qu’il n’y a pas formation de bielle de compression dans le béton et donc un risque de rupture.
La résolution de ce type de pic nécessite de revenir aux efforts, de moyenner les efforts tranchants et les efforts normaux et de recalculer les armatures.
Illustration des approches:
Exemple 1 :
Exemple 2 :
Les pics de ferraillage lus sur les cartes sont lissés selon le principe suivant :
D.5.5 Répartition des efforts dans les poutres et les dalles
Il est important de rappeler que, sauf exception, le calcul des efforts internes dans les éléments est un calcul élastique linéaire avec un module de béton constant.
Les pics d’efforts déterminent souvent une fissuration de la section de béton armé et donc une réduction locale des efforts au pic et une redistribution des efforts.
Il est parfois utile - et c’est admis - de faire une redistribution des moments de flexion. Il faut faire la distinction entre :
-
l’Etat Limite de Service (possibilité de redistribution limitée, prenant en compte l’affaiblissement de la rigidité de la section à cause de la fissuration du béton dans la zone fortement sollicitée du pic) ;
-
l’Etat Limite Ultime (possibilité de redistribution plus large : même phénomène que celui pris en compte pour l’ELS avec en plus les possibilités de redistribution plus larges indiquées dans l’Eurocode 2 aux paragraphes 5.5 « Analyse élastique-linéaire avec redistribution limitée des moments » et 5.6 « Analyse plastique ».
Il faut cependant signaler que les recommandations professionnelles pour l’application de la norme NF EN 1992-1-1 (NF P 18-711-1) autorisent, pour les bâtiments, à utiliser à l’ELS, une redistribution des moments avec les mêmes coefficients de redistribution qu’à l’ELU.
Dans le cadre des Eurocodes, le rapport δ du moment après redistribution au moment élastique de flexion, doit être supérieur ou égal à 0,7 pour des armatures longitudinales de classe A et à 0,8 pour des armatures longitudinales de classe B ou C.
Cette redistribution des moments dans une poutre continue est possible si la poutre ne participe pas au contreventement. Elle est plus délicate si la poutre appartient à une ossature en portique (attention aux moments élastiques provenant de l’effet portique).
Il ne faut pas oublier de prendre en compte l’incidence de la redistribution des moments fléchissant sur les efforts tranchants.
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